non, tu n’es pas un personnage, mais oui tu es personnage
tu es une personne, oui, et non, personne est le mot réversible qui tient en haleine pour un jeu qui est fini, je crois
persona le masque
personnes et personnages, soit
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tu es à côté de moi
hier midi nous avons beaucoup parlé
nous avons parlé au lieu de baiser
nous nous sommes d’abord tenus à couteaux tirés parce que l’ordre de la parole contredit l’ordre du sexe et vice-versa
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quand bien même nous serions le plus sincèrement philosophes, le plus sincèrement deleuziens, masculin pluriel, nous serions obligés d’entendre, déplier et conserver notre secret
le secret
l’avantage d’un secret, c’est que nous savons ce que nous cachons
la fiction du secret entretient la fiction de la vérité
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je comprends que ce soit insultant pour les femmes d’ériger à ce point le phallus au centre de la structure humaine
Lacan aura eu le mérite d’avoir poussé le bouchon
métaphore de la pêche ?
imaginons une femme pêchant et constatant que les hommes ont à ce point mordu à l’hameçon du phallus
ferre-t-elle ?
maintenant imaginons femme pêchant avec au bout de sa ligne l’hameçon clitoris (Catherine Malabou), pêche miraculeuse ?
moi je n’ai qu’une éthique : l’éthique du désenvoûtement
si vous voulez réenvoûter quelqu’un, ne comptez pas sur moi, ce n’est pas dans les services que je propose, si je propose des services et bien sûr que j’en propose, des services, même si je me trouve bien nul
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nul ?
nulle ?
personne et personnage de toi-même autant que personne pour moi et personnage dans ma fiction de moi, tu n’as quasiment pas dormi cette nuit, tellement tu te sens nulle
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ce que j’ai compris, me semble-t-il, à l’extérieur de cette scène d’écriture, je n’arrive pas à le verser dans l’écriture, d’habitude c’est l’inverse, l’écriture vient découvrir, donner un la de lucidité
je suis complètement passionné par toi
comme un bon romancier peut l’être avec son personnage, un vrai autre que lui-même
sauf que je ne suis pas romancier et que tu n’es pas mon personnage
et que la fiction politique ne s’interpose pas encore au cœur de la nuit, car il fait nuit encore, et j’aimerais tant que les lumières de la nuit se prolongent
fiction politique ? l’idée d’une conscience donneuse de droits, de liberté et de morale
une conscience partagée qui voudrait, qui aura voulu posséder le devenir
le constructivisme du genre comme du désir est une faiblesse
car faible est celui ou celle qui refuse sa faiblesse et la faiblesse, c’est qu’on est exposé et qu’on ne détient pas le regard porté sur nous ainsi exposés
il n’y a pas de nature mais il n’y a pas non plus de culture, de construction consciente pas même sous des traits renouvelés, déconstruits
si je dis avec la force candide de l’acteur que j’ai honte d’être garçon, vraiment honte, ce n’est pas du tout que je désire, que j’ai désiré être une femme, devenir femme, ce n’est pas du tout que je veuille devenir ce que je suis n’étant ni homme ni femme
je ne veux pas devenir, je deviens, et la honte d’être un garçon et le non-sens d’être une femme me portent au seuil de toi, et l’amour que je te porte, aussi connement et vraiment dit, c’est le même nom que l’extrême curiosité que j’ai de toi
nous sommes comme le philosophe, en fin de vie, qui se pose la question, mais qu’est-ce que j’ai fait, c’était quoi, ce à quoi je me suis livré toute ma vie ?
c’est ce livre-là que nous écrivons – j’ai encore puissamment l’idée, le désir de livre sous mes doigts et dans ma tête, mais je sais, et tu sais, que « livre » n’est plus le mot adapté au seuil que nous touchons
je ne veux pas devenir ce que tu es
et si je rentre un peu dans ton cerveau, après avoir frappé à la porte, après une si longue histoire de violence, si longue, oui, ce n’est pas avec le vœu de te devenir en moi ni me devenir en toi
la subjectivité passive et active nous est connue, archi-connue
et nous pouvons, avec délectation, échanger nos rôles, oui, passif et actif – ne jouons pas sur les mots, passif ne veut pas dire passif : passif est l’égal d’actif, notre modèle d’émancipation n’est pas un modèle d’actif, un modèle actif, il est tout autant passif, un modèle passif
je ne raconte pas ton histoire parce que je ne veux pas vendre ton secret, notre secret
notre secret est niché dans ton secret et vice et versa
la relation désubjectivée dont je parle n’a rien d’un décret et la légalité subjective demeure, ta légalité subjective demeure et pas du tout envie de loger une force violente contre ça
ce n’est pas violent, ce que je te dis
ce qui entre nous se dit n’est pas violent, et lutte pacifiquement contre les violences que si souvent nous retournons chacun.e sur nous-mêmes, et, en bon couple conjugal qui se respecte, sur l’autre – parfois, et dieu merci pas si souvent que ça
le couple intérieur que nous faisons avec nous-même est aussi chiant que le couple que nous formons en couple
la singularité foisonnante du deux n’est ni binaire ni dualiste
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c’est pourtant un roman poétique que j’aimerais écrire avec toi
et qu’est-ce qui s’écrit, entre nous, à la place de ce vœu encore subjectif, masculin, ripollien ?
je crois, j’en suis sûr même, que mon échec de vie, un sentiment d’échec comparable au sentiment d’échec qui cette nuit t’a traversée, c’est le tour esthétique de notre trouvaille, à savoir qu’en nous trouvons… (gardons la faute de frappe)
qu’en nous trouvant nous avons trouvé quelque chose
nous avons trouvé notre extrême fragilité, appelons ça comme ça, histoire de nous interdire le claironnant
ni l’un ni l’autre ne sommes le la héros du couple, du deux
et jamais la langue d’ici ne portera le silence de là
et que nous aimions jouer ensemble, l’un.e pour l’autre, l’un.e avec l’autre ne change rien à la solitude apparente qu’il faut assumer – j’assume la solitude de cet écrit et tu assumes la solitude de ce qui n’est pas écrit
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chaque pas que nous visons nous essayons de le faire juste, de placer métatarses, cheville, genou, hanche et côtes, d’un seul et même mouvement, de manière à aller du premier coup sur ce pas, de manière à ne pas encombrer le dialogue auquel nous avons notre vie à consacrer – une danse à n pas
si je prends au mot mon ami théologien qui dit que sa relation à Dieu n’est pas du fantasme, je lui demande de me prendre au mot lorsque je dis que ma relation à toi n’est pas du fantasme
nous avons besoin d’un autre mot que Dieu en même temps que d’un autre mot qu’autrui
non pas pour escamoter notre affaire en plein spectacle, en pleine décomposition mondiale
mais pour aller là où nous aimons
nous aimons veut dire : nous nous aimons
il faut comprendre ça
nous aimons veut dire : nous nous aimons
le Grand Jeu de l’indifférence nous restera parfaitement utile
notre amour commande un bon taux d’indifférence entre nous
mais nous sommes capables de nous déclarer aux deux bouts les plus éloignés de l’univers (que nous mettons au singulier par commodité), nous sommes capables d’exprimer que nous nous aimons
et quand je dis nous je dis aussi bien nous, deux petites personnes en ce jeudi 4 février 2021 à Mont-Saint-Aignan, et nous, événements aux deux bouts les plus éloignés l’un de l’autre de l’univers, je ne métaphorise pas, je nous déplace, et peut-être les deux bouts d’univers sont aussi, eux aussi, déplacés, considérables et déplacés
voilà, j’ai dit ce que j’avais à dire ce matin, sans rien avoir défloré de notre secret, qui est toute notre histoire, je crois m’y être tenu, et cependant ouvertement tenu