après ça, qu’est-ce qui va se dire hier ?
hier , mardi 3 novembre 2020
c’est tout à fait paniquant mais je ne panique pas
à côté de moi, elle panique un peu
elle se réveille en même temps que moi, se lève presque en même temps que moi, ne fait pas de sieste, ne récupère pas, elle panique
hier soir elle avait envie de plaisanter, elle me chatouillait, elle jouait
pour conjurer la tristesse, la dépression
S., lui, regarde E., son fils, avec une joie indiscutable
(vous avez des joies discutables, vous ? moi oui, je crois
mes joies parfois et même souvent sont médiocres, dans le semblant, elles m’emmerdent
un exemple ?
pas envie de donner des exemples, prenez les vôtres, prenez-vous en joie maquillée, je pense que vous avez de quoi faire
jouer à être positif c’est le premier truc qui fait tenir la tristesse, la machine, l’économie de la tristesse)
donc lui, S., une joie indiscutable avec, depuis son fils, avec, depuis celle qu’il aime
vous avez des joies indiscutables, vous aussi, comme lui, c’est sûr, mais ce matin c’est lui qui a l’indiscutable dans sa poche
si heureux qu’il existe, qu’E. existe, chaque jour plus heureux, en ce moment, c’est dix-huit mois, c’est cet âge-là, 19 mois dans six jours, c’est le plus bel âge, c’est l’âge qui lui convient particulièrement, à lui, père
bien sûr, vous n’avez peut-être pas d’exemple là tout de suite sous la main
mais une joie venue de quelqu’un en formation intensive d’existence, vous devez avoir ça, pas loin de vous, cette conscience-vie vous l’avez à portée de main, hein ?
non, non, mon intention n’est pas du tout de faire passer des exams pour constituer ici un aéropage de gens aux joies indiscutables
la joie indiscutable de mon fils aîné va son cours joyeux avec les yeux qui brillent à chaque invention de son fils, à chaque répétition créative de son fils à lui
et à chaque compréhension interne, vous le voyez, mon fils, sa façon de s’arrêter, d’écouter, assis ou debout ou j’imagine couché, une façon de s’arrêter pour s’en mettre plein les oreilles et plein le cerveau, voilà le père du petit E.
les oreilles ont des yeux, disait Keith Jarret, pour sa manière habitée de visualiser les 360° du son
c’est sa façon, à S., de s’en mettre plein le cerveau, plein la lampe, c’est ce qu’on dit quand il y a festin et qu’on aime s’en mettre plein la lampe et c’est toujours du festin de sobres, à ce moment-là
l’hallucinogène, le produit à gaver le cerveau, l’imaginaire, c’est juste quelqu’un, ça suffit, ce quelqu’un, pour vous mettre comme en transe
le livre que vous écrivez est vraiment beau, c’est exactement celui-là que je rêve d’écrire
c’est une joie indiscutable que de lire votre livre, chaque matin, dieu que c’est bon
le livre de S. ? son existence, sa joie indiscutable
à quoi il faut aussi combiner le froncement de sourcil
le froncement de sourcil ?
oui
l’amertume ?
un brin d’amertume, oui
le triste des anciennes passions, le rejet des anciennes passions, de l’ancienne ville, de l’ancienne vie, de l’ancien, sous forme, vide, de parents, par exemple
qu’est-ce qu’il faut sauver de la mort, de la disparition, de l’énorme déplaisir à devoir se séparer de tout
il faut sauver la mort d’elle-même, il faut sauver la joie d’elle-même, il faut nous sauver de notre « conscience-miroir », ce sera la sentence du jour, l’apophtegme du jour
pourquoi tu dis ça, quel chemin, fais-nous profiter
de ce genre d’éclair que tu juges toujours trop long à expliquer, déplier, justifier, restituer
d’abord c’est le négatif qui t’arrive en pleine figure, nos manières de nous faire la gueule, de pester contre le jour et le froid qui se lèvent
contre cette première semaine de reconfinement
contre les attentats de Nice, Avignon, Vienne et contre toutes les merdes merdiquement prédites par Soumission, tu sais, le livre du Français, du temps de 2015
est-ce que je peux parler de la joie indiscutable des assassins, des festoyeurs de mort
de ceux que le monde mondialisé nous a ramenés dans la maison d’à côté et qui réclament leur part de joie indiscutable et qui se rendent compte que leur joie indiscutable c’est de vous trancher la gorge
est-ce que je peux parler de ça ? non, je ne peux pas, ni capable ni autorisé
viens dans mes bras, s’il te plaît, si tu veux bien, là, dans mes bras, juste là, sous mon menton, sous ma bouche, là où la gorge vibre encore un peu
serre-toi fort contre moi si tu as froid, si tu as peur, si tu en as besoin, n’hésite pas, je n’en profiterai pas pour te mettre la main dessus, pour t’avaler dans mon cerveau
tu resteras intact.e
et tant que tu veux tu peux faire festin de moi, à cet instant, de ce corps paternel qu’à cet instant je partage avec mon fils
le négatif se trouve clopiner bras dessus bras dessous avec tout ce qu’il y a de bon dans nos têtes, hein ? c’est ça, on se raconte des histoires, enfin, pas moi, je ne sais pas raconter d’histoire mais aujourd’hui l’envie, l’intention, ça fera le petit bout d’histoire dont on a besoin là maintenant, toi et moi, toi dans mes bras et moi dans la joie indiscutable de t’avoir dans mes bras, de sentir ta puissance autre, là, dans mes bras
papa, je suis très près de la sensation maternelle, du ventre abri de quelqu’un d’autre dans sa puissance d’autre
et très près de la limite très effaçable si on n’y prend pas garde, entre toi et moi
(une petite pensée pour toi S., une petite pensée pour toi, S’, une petite pensée pour toi, T., je ne sais pas encore comment vous faire entrer dans le livre comme vous êtes entrés dans ma vie, comment vous faire entrer dans cette vie-ci sans entrer dans la vôtre, ce sera un autre chapitre, j’ai hâte)
toi qui as un ventre, tu n’oublies pas que tu les as portés, est-ce que moi je peux oublier que tu les as portés
oublier que je t’ai eue dans les bras et que je les ai eus dans les bras, et dans la main, et dans la joie que le cerveau aménage là-dedans où c’est infini ?
est-ce que je peux oublier ça, est-ce que j’ai des preuves de ça ? aussi tangibles que le jour qui est en train de pâlir là-bas, au-dessus du toit des voisins ?
l’idéal, disaient certains, ce serait qu’on se la chope tous et toutes, la Covid 19, et qu’ainsi nous soyons immunisé.e.s
que nous portions tous et toutes le même mal et qu’ainsi nous puissions tous et toutes développer les mêmes anticorps
quand on y pense, c’est drôle, ça, ce mot : anticorps, on n’a pas ici l’équivalent, antimot, ça n’existe pas, c’est bien dommage, on pourrait aller plus loin, je crois, avec ce nouveau mot « antimot »
et même antiécriture, allez, on prend, faisons de l’antiécriture pour conjurer la mort que ça fait de donner de l’écrit à d’autres, sous prétexte de vérité une et indivisible, je me souviens des nécessaires mauvaises lettres que j’ai envoyées et qui ont causé ruptures et amertumes
j’ai vraiment pas envie de te faire mal et quand je vois le méchant homme moi prendre le pas, bien malgré moi, si j’arrive à le prendre dans mes bras, comme je te prends dans mes bras, là maintenant, alors il se calme, cet homme, son cœur bat moins vite et je peux traduire, faire mon boulot de traducteur
je me rends compte, là maintenant, sur le champ, que ce que j’essaie en écrivant c’est de produire un corps et un langage – un homme – qui va pouvoir s’exprimer de façon plus fluide, plus simple, hors écriture, sur le seuil extérieur de la solitude
est-ce que je me rends compte que c’est ça ? que j’aimerais tout simplement, dans la foulée, dans le mouvement intime, dans l’élan de cette écriture puisée à même ton élan, dans ton élan à toi, autre, indiscutablement autre, et dans cet élan-là : te parler, t’envoyer des petits messages, te proposer ceci ou cela, pour tenir le coup en ces temps si étranges
si étranges et si intrinsèquement liés à nos temps révolus de croissance merdique, aux glorieuses merdiques qui nous ont vu naître, toi et moi, et si voisins, si voisines ces heures où toi, toi et toi, infiniment tu es né.e
c’est quoi cette apparente nécessité de chaque jour, où on me voit être dans des efforts de parturient et dans des bouleversements de nouveau-né
ça s’est mal passé pour moi, l’heure de l’expulsion ? non, je ne crois pas, pour Do, oui, ça s’est mal passé, entre mère et fille c’est l’éternité du mal de mort, mais moi je ne sais rien de l’envie de mourir de ma maman quand elle était au travail pour me faire naître, je ne le sais que d’après son désir puis sa fatale réalisation de désir de mourir, plus tard, ce sera peut-être un autre chapitre, et on peut dire que ça s’est très bien passé pour toi S., et pour toi, S’ et pour toi T., la naissance mémorable par-dessous la mémoire
ça s’est très bien passé, la mort était sous anesthésie, sous péridurale, elle n’a pas bronché, la mort
bon, c’est vrai, elle était forcément là et on a fait avec son invisible, du mieux qu’on a pu
s’il y avait un écrivain là maintenant, qu’est-ce qu’il serait heureux à pouvoir maintenant se mettre à table et raconter tout ça
et comme il l’a vécu, dévécu et revécu
et comme il s’intéresserait à la manière dont ses autrui ont vécu ça
et comme il serait indiscutablement heureux, joyeux, tout excité
pris dans le fil continu de l’indiscutable ici tout plein de joie
tu n’as pas noyé le poisson, là ?
non, c’est juste un peu de naufrage, tu sais : une dérive et personne en vue à l’horizon pour te ramener à un port
qu’est-ce donc ce matin qui voulait être dit et qui n’a pas été dit ?
c’est la vie quotidienne ensemble, c’est important, lecteur, lectrice, que tu voies un couple au quotidien, ici, et les moments forcément pénibles qui vont de pair
tu comprendras que par égard pour ma partenaire, autant que par une incapacité spirituelle, j’ai fini par l’admettre, à raconter dans le détail, je ne rentre pas dans le détail de notre vie quotidienne
mais c’est là, présent
et par exemple, quand on se fait la gueule hier ou avant-hier, voilà ce qui en sort, aujourd’hui
(je me parle à mon bonnet autant qu’au tien) :
ton empathie te rend méchant.e
non
tu mimes qui tu aimes
tu mimes le déplaisir de qui tu aimes
tu n’arrêtes pas de mimer en guise d’aimer
le mime c’est avalage de l’autre dans le cerveau, c’est avalage de cerveau
vous craignez les lavages de cerveaux, vous faites bien parce que vous avez de quoi faire
mais craignez davantage les avalages de cerveaux
ceux et celles qui veulent vous avaler tout cru
craignez-moi
craignez aussi ma compagne
et nous, c’est du pipi de chat à côté des Puissants
à côté de ceux qui vous avalent et vous défèquent
fuyez-les, fuyez ceux qui vous chient dessus parce que ce serait leur unique façon d’aimer
fuyez-nous, fuyez-moi, si on se prête à ce jeu qui ne sent pas bon
ici, plutôt, on change les couches, on nettoie, on prend soin, on gazouille avec qui gazouille
le déplaisir haineux est une vue de l’esprit
une entourloupe plus coûteuse que l’entourloupe des joies discutables ayant pour sujet la joie indiscutable
toi, tu me parles seulement des joies indiscutables
décidément c’est ton livre que j’ai envie de lire, dépêche-toi s’il te plaît de le finir que je le lise complètement, jusqu’au bout…
c’est vrai, je te donne toutes les bonnes raisons pour traîner et ne jamais le finir
je pense que là on atteint les bonnes raisons de Dieu : hors de question pour lui de finir son boulot
arrêtons là pour aujourd’hui
changeons nos couches
nos couches d’amants, nos couches de pères, nos couches d’hommes
nous sommes si enveloppés de couche féminine
par tant de féminin
et le féminin, enveloppé par quoi ? langé par quoi ?
par rien qui le mime
je t’aime
je ne te mime pas
tu ne me changes pas
je t’aime