dimanche 15 novembre 2020
le moment Rabia
est-ce qu’il faut ça, est-ce qu’il faut ton moment martyr, je pense à Jeanne Guyon, la mystique qui en plein XVIIe apporte son corps sur la table de Dieu
mais plus près, je pense à toi aussi, avec qui je vis, qui fais le constat critique du sacrifice féminin
non
appelons moment Rabia ce moment où un homme rencontre une femme auprès de qui jouissance recouvre tous ses sens – autrefois spirituel semblait recouvrir tout c’est-à-dire recouvrait le corporel, le mot se prétendait contre lui-même, bref tu rencontres une femme qui va se trouver plus guide que tous les guides que tu as pu trouver, jusqu’à ce dernier qui te reste, ce pauvre soi qui crapahute avec sa lanterne en zone pandémique
si tu veux j’insère un extrait de la notice de Wikipédia sur Rabi’a et un petit extrait des « chants de la Recluse », je n’en sais pas beaucoup plus sauf que l’ayant lue si on peut dire, c’est comme si je lui avais rendu visite et que son histoire d’amour était la mienne ou la mienne la sienne, tout honneur conservé bien sûr
elle ne sait rien de mes inclinations, quoique je me fasse le film comme quoi elle sait tout de moi
oui, ce que je peux citer, c’est sa réponse à la question du passant théologue, Pourquoi toi, une femme, tu es l’amie la plus proche de Dieu quand Dieu ne connait que des Amis, c’est-à-dire que des hommes :
– ce que vous avez dit est vrai, répondit-elle
« Mais l’orgueil, le mensonge et la fausse prétention à la divinité n’ont jamais eu leur origine chez une femme.
« Ce n’est pas une femme qui a été corrompue par une autre femme. »
c’est mon fils S’ qui m’a offert le livre
il l’a aperçue, Rabiah, au fil de lectures de je ne sais pas qui, il a regardé Wikipédia sans doute, a lu, a feuilleté quelques autres trucs peut-être, et m’a, nous a, à nous deux, Do et moi, offert ce petit bouquin, je reviendrai plus tard sur les quatre livres qu’il nous a envoyés pour le reconfinement
l’idée, la clé Rabia, le moment, l’idée du moment me vient de lui
si j’étais écrivain je raconterai, j’essaierai de raconter l’histoire qui nous lie, lui et moi, de sa naissance à maintenant, S’ peut s’entendre exprime, son nom, son masque de nom ici comme son vrai nom dans la vie, comme sa vie elle-même, est une expression juste
aujourd’hui, j’aimerais, lecteur, que tu sois comme lui, que tu sois lui, non pas pour profiter de ma situation, oui, de père, et d’orgueil incarné, d’orgueil fait chair n’est-ce pas comme à quoi grossièrement tu peux ramener tout enthousiasme de père, non, justement, j’aimerais que tu sois lui, afin que je m’adresse à toi un peu plus délivré de mon emmerdement narcissique
et je te parlerai comme je lui parlais dans la voiture quand je le menai au lycée, mais habité par l’intuition que c’est aujourd’hui qu’a lieu la conversation et que quand je te parle, ce n’est rien d’autre qu’un certain effort pour t’écouter, pour l’écouter, ce que je n’ai jamais su pu faire pour personne je crois
et ça pourrait bien encore ressembler au contraire à juste de l’orgueil pariant sur ton admiration
et ensuite la longue et pénible et bien connue descente dans le mépris et la honte
j’emploie ces mots sans aucun scrupule, ils sont toujours d’actualité, on est dans cette archéologie qui regarde pareillement le passé obscur et le contemporain vaseux
ce long silence, qu’on vient de traverser… je ne sais pas à quoi tu pensais, mais moi c’est un peu une avalanche avec « ce moment Rabia’h », la place qui cherche à s’aménager, pour toi comme pour moi, semble tourner comme toupie, nous amalgame, nous rejette par force centrifuge, et nous rassemble dans son axe jusqu’au bout, jusqu’à la chute, à l’arrêt, cette sensation physique, traduite par la forme d’un objet, la toupie
se creuse, s’habite, s’affine avec l’esprit du tango, de cette danse toujours à deux, qui reprend de fond en comble l’esprit du mouvement
si tu es en ce moment S’, toute une vie ardente
tu vas constater que rentrant au plus profond de ce qui se passe ici
ça danse, que c’est une milonga, une milonga spéciale intitulée « le moment Rabia’h »
les hommes ont suspendu leur mauvais opéra intitulé Maria de Buenos Aires, ils rencontrent Rabi’a et essaient tous de danser avec elle
non pas pour lui montrer tout ce qu’ils savent faire, ni pour l’envoyer en l’air, ni pour touiller leur mélancolie dans ses bras
juste parce qu’elle est plus près de tout ce dont ils veulent s’approcher
et ça donne une foutue belle milonga, plutôt inédite, en plein reconfinement