caricature de moi et caricature de toi
la difficulté de ce jour étant de tenir la danse connectée des caricatures et de ne pas se réfugier derrière le sujet, le sens, la vérité, je ne sais quel Dieu exempt, intact de toute caricature
c’est difficile lorsque nous voyons Trump plonger crocs les premiers dans l’acide de sa caricature
c’est difficile d’aller à, de reconnaître ma propre caricature, ou celle de l’Américain anti-trump
et pas la moindre envie, le moindre sens, le moindre contact avec le nihilisme
lorsque Martin Luther King est assassiné, il est impossible, sauf à Malcom X du fond de sa tombe, d’actionner le bouton caricature de Martin Luther King
et lorsque les artistes sont confinés et que du fond de leurs caves, ils brandissent leurs plus beaux chants et leurs plus belles Défenses et Illustrations de l’art
difficile de reconnaître la caricature de l’artiste, en Claude Lévêque par exemple
lorsque spectaculaire, aussi drôle que toxique et destructrice apparaît la caricature de homme, difficile de faire apparaître, connectée, la caricature de femme
ou, si vous voulez, celle de maître en même temps que celle d’esclave
très difficile sans passer pour le traître de servicel’hypocrite de service, l’acteur de service, l’agent secret de l’un ou de l’autre, en service, en vulgaire service
très difficile
et se profile la caricature de celui qui sent la caricature de l’un et de l’autre, se pensant ni l’un ni l’autre
puisque l’un et l’autre se trouvent devant lui et non en lui, et non lui, ainsi divisé
il est difficile de se reconnaître héritier, héritière de Grotesques en tous genres
c’est plus difficile, beaucoup plus délicat d’aller au Grotesque des vraies victimes, des vraies souffrances, beaucoup plus, vraiment
et les contre-révolutionnaires, les néo-conservateurs, les anarchistes de droite en tous genres sont vraiment des crasseux à surfer sur le grotesque de leurs victimes
c’est vraiment un calvaire de danser avec eux, d’aller sur les lieux de leurs connexions pourries avec l’art de la caricature
et je me mets fatalement du côté des Bons, mais vraiment des Bons, c’est-à-dire des Trans, des Pédés, des migrants, des femmes, mais vraiment sans hésiter
et c’est après, après ce mouvement, qu’aller à la sensation de caricature s’éprouve dans ses putains de difficultés
on peut le dire comme ça
un peu de finesse dans la Barbarie générale et c’est maintenant qu’a lieu un moment de danse sublime ; connecté à l’art de jouer avec ce qu’on peut pas, malgré tout ce qu’on peut
et peut-être avec ce qu’on veut pas malgré tout ce qu’on veut – de bien
épilogue de vœux
vendredi 8 janvier 2021
.
dans la foule de nos messages de vœux, que lisons-nous ?
qu’est-ce qu’il vient de se passer ? qu’est-ce qu’il se passe ? tout un peuple de lecteurs et d’interlecteurs lisent les titres du jour
et que font ceux et celles qui viennent de lire au micro leur déclaration du jour ?
en janvier tout ça prend toujours une allure de nouvel an
est-ce que tu suis l’événement ou est-ce que tu fais l’évènement ?
événement au sens où l’entendent humains et post-humains qui ont établi et pour ainsi dire prouvé que l’évènement comprend signes et actes noués
et lorsque nous apprendrions que notre vie impacte l’univers, nous ne tomberions pas des nues
et continuerions à nous départager entre fous de puissance et lamentateurs de puissance
quels seront nos bons vœux alors, et qui s’adressera à qui ?
les dominateurs voudront encore guider et les lamentateurs choisiront dans le lexique du follower l’esthétique de leur réactivité
.
quelque chose ici s’adresse à tous les cœurs, dans des phrases aussi claires qu’obscures, aussi limpides que coriaces
ici se rassemblent nos plus beaux moments, en vrai et dans la chambre-cerveau de chacun.e d’entre nous
profitons de ce moment, lequel n’oublie pas ce qui est en train de se passer, l’événement en cours
jamais le monde ne s’est révélé à ce point changer de monde
et n’importe quel sauve-qui-peut catastrophiste est une accélération de catastrophe
et n’importe quel flegme de connaisseur est une accélération de catastrophe
.
qu’est-ce que nous faisons avec ce qui nous arrive, qu’est-ce que nous créons ?
quelle chorégraphie spontanée, méditative, hautement réfléchie, ou sincèrement art brut, à laquelle nous avons juste à bosser ?
dans quelle création voulons-nous apparaître, en auteures interprètes chaloupés
dans quel nouveau cycle de créations ?
dans quel événement voulons-nous figurer notre être, notre relation ?
si nous rouvrons nos théâtres, nos galeries, nos musées, nos poèmes en corps, en attendant la réouverture des milongas, ces queues de comètes de l’impressionnante mutation vivante
c’est pour créer quoi ? quel événement de monde ?
et qu’est-ce qu’on peut se souhaiter de mieux, dans ce moment spécial où tous, toutes, nous avons l’air surprises
comme attrapées par un paparazzi
ou par un voleur de feu
et suspendues dans la surprise
où toutes, tous, nous avons l’air surpris
par la nuit, par l’événement, par quelqu’un
et suspendus dans la surprise
.
et on se retrouve saisi.e.s là
avec le vœu de plutôt se poser des questions que se taper des déserts et des guerres de réponses
on est peut-être là, tous, toutes, à se demander : qu’est-ce qu’on fait maintenant, cette année ? qu’est-ce qu’on fait, qu’est-ce qu’on crée, qu’est-ce qu’on fait ?
Envoi
au départ, le vœu, c’est d’abord de répondre aux vôtres
mais qu’est-ce que je peux bien vous répondre ! me dis-je en mon for
et même quand je dégaine le premier, que je vous adresse mes vœux, la petite voix reste la même
au départ de tout – et une nouvelle année a toujours été dans l’esprit enfantin qu’est le nôtre, un départ, un redépart de tout
la petite voix dit, Mais qu’est-ce que je peux bien répondre à ces vœux, qui nous veulent du bien, qui nous veulent, nous, en bonne forme de nous
et une musique vient, en fondu, en provenance d’un beau silence, la musique de Angel d’Agostino, Café Dominguez, envoyée par Elise Roulin, avec la voix de Angel Vargas
et à partir de cet événement surgi du noir et du silence, dans la nuit, un abrazo, non pas deux personnes allant l’une vers l’autre, mais un abrazo attirant et repoussant deux personnes, par puissance chorégraphique
dans une mécanique céleste infinie – je reconnais que ce vocabulaire lyrique dénote plus d’incapacité que de vérité mais on fait avec ce qu’on a
on dira que cette page peut bien faire la couverture de notre carte de vœux – d’où vient notre fascination pour les boites à musique avec danseurs tournant dès qu’on ouvre la boite ? la mécanique céleste de l’abrazo incorpore la main ouvrant la boite, remontant le mécanisme
et
l’incorporant, l’affine, numérise et réincarne toute la relation
vient le moment où nous allons à nouveau nous embrasser
et ce qu’on avait appelé tango reviendra tout frais, tout nouveau, tout métamorphosé aussi, loin des vieilles habitudes de l’archaïque inégalité
qu’est-ce qu’on répond aux vœux qu’on se lance, les uns aux autres , qu’est-ce qu’on répond un abrazo répond, vœu de nos vœux
2021, encore
nous recevons le plus long texto du monde, un copié-collé, qui parle de littérature, de tango, de foi dans le désir, dans un désir conjugué au féminin comme au masculin
une foi dans le désir !
et croyance que roman est le nom shaman d’accès à l’autre
ce sont les meilleurs vœux qui se puissent recevoir
.
iI est des esprits et des corps qui sont fous de tradition d’esprit et de corps
et comment n’aimerait-on pas tout shaman, tout passant et passante, passeur et passeuse
aussi nous disons merci, nous qui voyageons aussi
.
nous qui aussi aimons suivre yeux fermés et cœurs ouverts la prêtrise de tout art
– et qu’aujourd’hui des hommes cherchent à exceller dans l’art de suivre, yeux fermés et cœurs ouverts, cela semble un don, un abandon remarquable, historique
si longtemps l’homme a joué tout seul la femme qu’il désirait, qu’il était, sans être
qu’aujourd’hui il suive, yeux fermés et cœurs ouverts, le désir d’une femme
c’est chose heureuse
et une prosodie inouïe déploie l’ancienne et solitaire et masculine prosodie
.
mais tu sais
la poésie non écrite
que les poètes interprètent comme poésie non encore écrite
et que les vivants boivent au quotidien
parce qu’il en est ainsi de l’écriture de vivant
la poésie revient, en 2021
non écrite, et toute chaude, entre deux qui dansent, corps à corps, c’est-à-dire esprit à esprit, c’est-à-dire galaxie à galaxie
au plus intime, au plus intérieur
car comme bafouillait un poète, l’intérieur est à l’extérieur et l’extérieur à l’intérieur
et le temps de tout mal comprendre afin de comprendre, c’est-à-dire le temps d’être tout mal compris afin d’être compris, à l’intérieur comme à l’extérieur
.
nous n’avons plus le temps de jouer aux propriétaires, n’est-ce pas, ni propriétaires du moi, ni propriétaires du nous
nous n’avons plus le temps de jouer à ça, n’est-ce pas ? n’est-ce pas qu’on n’a plus le temps ?
on n’a plus le temps, hein ? hein ? hein ?
.
reprenons
.
depuis le début, suivre n’était qu’aller et aller encore
et aller, guider, aller n’était que suivre, suivre encore
.
le mot, l’idée, l’expérience, la chose dite « amour », mal dite « amour »
passe d’art en art, dans le mot mal dit d’art
l’effort que je fais pour t’imaginer, c’est encore rien à côté de l’effort que je fais pour aller là où s’imaginent nos deux corps
redis mieux la phrase, car elle se prête à confusion
là où s’imaginent nos deux corps, c’est là où ils se créent, n’est-ce pas ?
bien avant que nous baisions et qu’un gosse émerge de la scène
qu’un genre émerge de notre danse
.
le poète qui bafouille bafouille avec ce qui est, ce qui lui est le plus intérieur et le plus extérieur
avec qui ne parle ni ne poétise
et le ou la shaman est d’abord celui, celle qui ni ne parle ni ne poétise
puis selon le poème que nous aimons nous raconter, la ou le shaman fait croire au poète, à la poète en sa vertu shamanique de poète
mais nous n’avons plus le temps de jouer au propriétaire, n’est-ce pas ? n’est-ce pas ?
.
Nous sommes en 2021, dis donc
Tu te rends compte !
Voilà un poème qui va faire le tour du monde, dis donc
Le poème de deux vers
Nous sommes en 2021, dis donc
Tu te rends compte !
quelle joie d’être auteur.e d’un tel poème !
faisons la fête que nous ferons demain, lorsque nous ne serons plus transis par le Corona et ses descendants pandémiques
faisons cette fête, cette danse, car « monde » recommence
en plus intérieur et plus extérieur que l’apparence de monde qu’on a voulu se concocter
quand absolument nous voulions mais voulions plus encore que vouloir veut dire, nous voulions nous tenir loin de la danse
dans la croyance superficielle et la douleur superficielle en notre séparation
en notre révélation solitaire, en notre solitude révélante et révélatrice, n’est-ce pas ? n’est-ce pas, au fond du fond propriétaire, d’une vérité, d’une terre, promises
est-ce que mes vœux pour 2021 tiennent la route ?
j’ai bien peur que non
mais c’est pas grave
on est l’auteur.e du poème qui a fait le tour du monde
Nous sommes en 2021, dis donc
Tu te rends compte !
des vœux ou des confessions ?
de l’espoir pour la suite ou du remord pour ce qu’on vient de traverser, 2020, et 2020 sonnant résonant de toute notre vieille histoire ayant mal tourné
et qui sommes-nous pour souhaiter ou pour confesser ?
.
pour nous embrasser, nous pouvons nous rejoindre par la tête, par la racine des cheveux, par la pointe des cheveux, par l’intellect le plus immatériel, qu’il soit incarné par nos représentations savantes ou par nos « valeurs » morales, sociales. Nous avons presque supprimé la notion de poids, et le corps entier n’est plus qu’une idée de corps, et la terre n’est plus qu’une idée de terre, au service de l’intellect que nous avons au bout des cheveux, flottant dans l’air virtuel que nous leur avons inventé, pour notre campagne publicitaire existentielle
nous pouvons nous rejoindre par le sexe, par le bas, par notre identité, de genre, qui appelle, en bas du tronc
nous pouvons nous rejoindre sans nous embrasser en marchant côte à côte, en confiant au sol le soin de composer l’arc souterrain entre nos quatre pieds
nous pouvons nous rejoindre pour nous éliminer, que l’un ou l’autre ressorte vainqueur de notre distanciation radicale
ou bien nous pouvons nous rejoindre pour mourir ensemble, que l’un et l’autre s’effondre sous les coups du corps étranger qui a juste besoin qu’on l’héberge, de vie à mort, indifféremment, on peut se toucher afin d’être atteint par ce corps étranger. On peut se rejoindre par ce curieux goût à mourir ensemble
on peut aussi couper nos cheveux, se castrer mutuellement et couper les phrases qui nous touchent n’importe comment
.
et reprendre autrement
.
reprenons autrement
j’aimerais juste te souhaiter une bonne année, comme tout le monde
et t’embrasser de tout mon cœur, de la racine des cheveux aux métatarses
et plaider pour ce qui nous est commun, tout au fond de nous
et ce « nous » n’est pas une propriété collective qui viendrait mal compenser notre si toxique propriété privée, individuelle, subjective
je ne sais pas si ce sont des vœux ou des confessions
je peux te vendre du besoin avec son mini kit de réalisation, notre petit rituel de vœu
je peux te vendre cet espoir en flacon premier prix
je peux te vendre ma sincérité repentante : plus jamais, plus jamais, je te le promets, pareil, en flacon premier prix
je peux te vendre un désespoir bien ficelé
je peux tout faire pour rejoindre ton supposé goût commun, ton goût pour ce qui est supposé nous concerner, nous, nous les, comment on s’appelle déjà ?
.
à qui, ici, le président de la terre veut-elle s’adresser ?
pour adresser ses vœux pour 2021
à tous et toutes ?
un mot à chacun, chacune, ça va être long
Un mot de substantifique moëlle rassemblant son adresse à toutes et tous dans sa seule substance ? ça va être extrêmement difficile à traduire dans la langue de chacune et chacun
et si c’était un non-président, une non-présidente du non-ensemble faisant espace vivant
et un.e président.e de tout vivant
qui dansaient ensemble en guise de vœux pour 2021, qui dansaient un tango, pour 2021 ?
qui dansaient ce tango-là, pour 2021, avec, en une seule phrase, un seul élan musical, l’espoir et la douleur, le vœu et la confession, de passer de 2020 à 2021, du XXème au XXIème siècle ?
car l’entrée dans le XXIème siècle, ce n’était pas les Twin Towers du 11 septembre 2001, c’est l’année 2020 et son passage à 21
juste un tango, pour comprendre, au fond du fond, ce passage – si risqué
2021 ?
avant qu’il ne soit trop tard, la sensation est puissante, la sensation de la phrase « avant qu’il ne soit trop tard »
la sensation est aussi personnelle que mondiale
je reconnais que la sensation est un peu théâtrale en ce qui me concerne
mais cette sensation, si on rentre dedans en la dédramatisant, en la déthéâtralisant, en contient une autre
à savoir qu’il est trop tard
pour moi, « personnellement », « il est trop tard ». Je ne vais pas énumérer mes échecs mais c’est clair qu’il est trop tard pour, disons, l’essentiel de ce à quoi ma vie prétendait
et si on se rapporte à la sensation de notre vie collective, mondiale, à l’écopensée de notre monde terrien – le réchauffement climatique étant l’indice majeur de notre ère anthropocénique entropique
il est, déjà, trop tard
et si nous dédramatisons, si nous déthéâtralisons la sensation catastrophiste
qu’est-ce que ça donne ?
qu’est-ce que ça donne ?
nous avons passé l’an 2000 les doigts dans le nez, démonté les prédictions de la pacotille Nostradamus
depuis, nous avons actionné pas mal de sonnettes d’alarme, de plus en plus de sonnettes d’alarmes
pour nous retrouver là où aujourd’hui on se trouve, 30 décembre 2020, à la veille de se souhaiter je ne sais quelle contorsion de langage pour commencer un XXIème siècle, bloc de suspense remonté à fond, mauvais polar en mode science-fiction
donc la formule du jour, c’est bien : qu’est-ce qu’on fait après qu’il est trop tard, sachant qu’on est obsédé, habité par l’espérance in extremis qui porte la question Qu’est-ce qu’on fait avant qu’il ne soit trop tard
car nous croyons encore qu’il n’est pas trop tard
et ce qui est sûr, c’est que nous voulons tenir à distance les fous de dieu qui vont jouir de façon dégueulasse de leur fonds de commerce apocalyptique
.
qu’est-ce qu’on fait après qu’il est trop tard, chargés à bloc de la sensation de qu’est-ce qu’on fait avant qu’il ne soit trop tard ?
ou comment ne pas être nihiliste en période résolument nihiliste
avec son lot sinistre, qui est d’en profiter pour faire n’importe quoi
puisque c’est foutu
n’est-ce pas ?
qu’est-ce qu’on fait pour échapper à ça ?
pour échapper aux réactions-panique qui commencent toutes par la prétention à chapeauter la catastrophe sous le signe de ce qui nous a toujours constitué – à savoir notre goût du dernier mot, sur l’air de « il fallait m’écouter », « il aurait fallu m’écouter », « il faut m’écouter maintenant »
la culture masculine dominatrice est visée, explicitement visée ici : le « dernier mot », c’est masculin, c’est typiquement masculin, or
la question que nous posons n’est pas masculine parce que nous n’en avons pas la réponse
je dis masculine, non-masculine, non pas pour me dire féminine
en fait, je ne sais pas ce que c’est, féminin
mais si je pense à la vie féminine
la question qui est posée, concernant la condition féminine, c’est la même : qu’est-ce qu’on fait avant qu’il ne soit trop tard, qu’est-ce qu’on fait après qu’il est trop tard ?
par exemple les « avoir été violée » indique très clairement que les féminismes ne sont pas, n’ont peut-être jamais été messianiques :
qu’est-ce qu’on fait après qu’il est trop tard, après qu’on a été violée ?
bien sûr prévenir, empêcher les futurs viols, mais pas que
sans jouer le fou, de dieu ou d’autre chose, la sensation m’en vient à présent de notre rapport aux morts, à tous nos morts, à la réparation qui leur est due comme elle est due aux femmes violées, comme elle est due à l’humanité détruite, sciemment détruite
pour moi les victimes de l’Histoire ne seront jamais des victimes juste décomptées comme victimes dans le comptage danaïde de l’Histoire, de la poubelle historique
la sensation est très forte, de devoir rendre justice à tous les esclaves, sans en oublier un seul, une seule
qu’est-ce qu’on fait ? on répare, mais qu’est-ce que c’est réparer ?
qu’est-ce que c’est la réparation ?
.
la réparation, c’est le nom donné à l’opération qui entend surmonter les dégâts de l’excision, redonner, recoller un clitoris, des lèvres, redonner une intégrité d’organe, de sensation à l’être-femme
les hommes ont mis beaucoup de soin dans leur apprentissage de la destruction, pour détruire la planète ils ont dû patiemment apprendre à détruire les femmes
je crois que c’est lié, féminisme et écologie politique sont reliés à cet endroit-là
ça a l’air d’être une idée générale et donc foireuse, mais ce n’est pas une idée, c’est une sensation, une sensation très puissante, et je dois dire, complètement obsédante
que faut-il réparer ?
c’est ça qu’il faut réparer, nos apprentissages, la fleur au fusil, de la destruction
mais est-ce que je sais ce que sont les femmes ?
et est-ce que je sais ce que terre veut dire ?
lorsque je dis que la sensation est non masculine, cela veut juste dire qu’elle n’entre pas dans l’histoire masculine classique, dominatrice
il existe des images d’hommes qui échappent à la gloriole masculine, ça fait du bien
au cinéma, par exemple, deux noms nous viennent pour ces devenirs non masculins d’hommes, le nom de Alain Cavalier et le nom d’Emmanuel Mouret
très masculin mais si résolument exercé à démonter l’Homme, le Masculin, Samuel Beckett
relire En attendant Godot aujourd’hui, devant un public exclusivement féminin, par exemple, c’est une vraie opération à cœur ouvert sur les hommes, sur leurs cœurs de personnages masculins
sur les cœurs de Vladimir, Estragon, Pozzo, Lucky, l’Enfant, l’écrivain
reprenons
2021 ? nous disions 2021 ? qu’est-ce qu’on fait ?
vendredi 25 décembre 2020, qu’est-ce qu’on s’offre, à distance
au petit matin
Noël, si on faisait un tour de mes croyances, de mes amours
de mes façons d’aimer, de mes façons de croire
si on faisait ça, de l’intérieur
on est bien installé, là, à l’intérieur, au chaud
il faudrait alors, aussi, faire le tour de chaque objection
puis de chaque sortie de croyance, de chaque sortie de façon d’aimer
ces petites sorties dans le froid pour retrouver du chaud
.
l’hypothèse durable, celle du jour, c’est, sans trop l’expliquer, l’équivalence de ces deux verbes, croire et aimer
le moment de foi enfantine, quand tu suces le corps du christ, lorsqu’il vient en toi, chaste pornographie, lorsqu’il t’illumine de son sourire, de l’amour de dieu, de l’amour, et que tu te mets à prier, plutôt en cachette car les autres vont se foutre de ta gueule, c’est clair que c’est un moment important
que tu retrouveras de place en place dans ta vie, tantôt avec lui, tantôt avec une femme, qui va rentrer dans ta vie, qui va se répandre dans l’intérieur de ta vie, tantôt avec tes enfants, qui feront office de Grands Voyageurs de ton être
tu l’as déjà eu, ce moment important, avec ta maman mais tu ne t’en rendais pas compte, le début de tout chrétien, de foi, c’est quand il avale le corps du christ, c’est la renaissance qui le fait naître, et quelque chose n’a jamais tourné rond dans cette danse, dans cet espèce de ressentiment anthropologique envers le fait que la conscience ne coïncide pas avec la naissance
.
c’est un coup d’œil d’ensemble, un petit tour, rapide, qu’on fait
est-ce qu’il te faut une autre croyance, un autre objet d’amour pour sortir de ta croyance
te délivrer d’un objet aimé, d’une personne aimée
est-ce qu’il faut une autre personne, un autre horizon de langage pour ça ?
est-ce que croire et aimer c’est butiner d’une fleur à l’autre ?
peut-être pas, c’est de l’intérieur que ça se passe, c’est dans croire et aimer que ça change, tout le temps
.
la case émancipation est à hauteur de la case dieu
se délivrer est à hauteur de ce qui se produit en soi lorsque tu crois et que tu aimes croire et aimer
la pensée communiste et la pensée anarchiste sont à hauteur, vraiment
comme la pensée capitaliste – et quand on dit le singulier « la », on dit le flux, comme l’être au singulier, comme dieu au singulier, le singulier abrite l’infinie diversité, bref le pluriel, c’est plus difficile en sens inverse, que le pluriel abrite le singulier
.
plus vite
.
le féminisme est à hauteur, c’est ça le centre de la page du jour
.
ça communique à l’intérieur, à hauteur, c’est-à-dire a maxima
ce ne sont pas des débats d’idées, ce sont des façons d’aimer
comme « l’art » est à hauteur, toujours, comme science est à hauteur, toujours, comme économie, toujours
.
plus vite, escargot
.
à l’intérieur de chaque lutte, une foi d’enfer, une furieuse façon d’aimer
enfer et furieux employés ici pour accroitre l’intensité positive
.
la conversion est toujours utile pour moi, j’ai besoin de puissances de transformation
et je comprends bien que, longtemps très longtemps, ça a été plus pratique pour moi de te demander impérieusement de te transformer, de te convertir
je pense que si on fait bref, le patriarcat c’est ça
convertis-toi à ce que j’aime, à ce que je crois
la violence de pensée, d’opposée pensée, d’oser penser, la libération violente est à hauteur de cette violence-là
.
je ne cherche pas à vous mettre d’accord, je ne cherche pas à me mettre d’accord avec ce que je suppose être moi, mes croyances, mes façons d’aimer, j’aimerais juste danser mieux, être un peu mieux dans nos abrazos, dans nos façons de nous déplacer et de déplacer la terre sur laquelle nous dansons
car nous ne cessons de la déplacer, je veux dire de la convertir, la terre
la conversion est vraiment partout
et pas que chez les chrétiens
et pas que chez les en science
.
Noël
qu’est-ce qu’on s’offre ?
.
à distance
.
j’ai tellement rien à te donner
j’ai tellement tout mon être à te donner
j’ai tant de connerie à te donner
.
là, ce qu’on est en train de s’échanger, avec précaution, c’est une furieuse autre manière de croire et d’aimer, il me semble bien qu’on est en train de faire ça
je ne compte pas sur toi pour valider mes conneries et tu ne comptes pas sur moi pour épouser les tiennes
.
il y a juste ce moment important où rien qu’à nous regarder, tous, là, comme ça
.
le gain toujours incroyable qu’on a à lâcher nos croyances, nos façons d’aimer
le gain !
jusqu’à lâcher le fait de croire et d’aimer
croire et aimer ne pas croire et ne pas aimer
après ne plus avoir cru et ne plus avoir aimé
.
la danse entre enthousiasme et critique est chouette
.
aujourd’hui, c’est vendredi 25 décembre, demain c’est 26 je crois, samedi
2020, 2020-2021, 2021
ce que je te disais hier et avant-hier et avant-avant-hier
et qu’aujourd’hui semble vouloir redire, réécrire
de fond en comble toujours
comme une déclaration, une déclaration simplifiée, abrégée
même idéal que ces appli qui vous permettaient de générer instantanément votre attestation de déplacement pendant les confinements
les trucs trop longs à remplir, on n’en veut plus, les trucs trop longs à comprendre, on n’en veut plus
j’ai besoin et je crois, toi aussi, d’aller vite au fait, vite à la compréhension claire de ce que tu veux me dire et de ce que je veux te dire et de ce que nous voulons nous dire
et tout autant de ce que nous voulons dire, en soi, sans que nous nous croyions forcés de nous adresser l’un à l’autre et qui pourtant ne cesse de s’adresser à l’un comme à l’autre
.
en même temps que ce qu’hier, etc., je te disais, il se passe, passait et passera plein de choses, ici, je veux dire dans la vie, dans l’environnement vivant de ce que chaque jour j’essaie de reprendre, un peu comme Sisyphe, un peu comme Kierkegaard, le philosophe, toute proportion gardée bien sûr, ici c’est pop, philosophie de comptoir et même plutôt taudis
en même temps il se passe plein de choses qui demanderaient à être racontées, qui l’exigent même
ce qui vient tout juste de se passer, ou parfois de vieux souvenirs, d’anciennes vies, avec toi
.
bon, à la fin de l’année, il y a Noël et le jour de l’an, en gros la naissance de l’humain et le cycle renaissant de l’univers, disons ça en gros
et on aime bien marquer le coup
récapituler, faire des résolutions
aimer s’en mettre plein la lampe
passer un bon moment ou plus fréquemment juste supporter de passer l’épreuve de ces rituels emmerdants que sont naissance d’humain et cycles des renaissances
emmerdant parce que tellement connectés à tout ce qui meurt et meurt encore pour nous
.
si on résume cette année, c’est l’histoire la plus commune, je crois, qu’on ait été amené à vivre et à raconter
bien sûr, on a toujours des trucs hyper singuliers à se dire
on a beaucoup d’infos à se transmettre sur nos écarts, nos différences, nos dadas aux uns et aux autres
mais là, cette année finissante 2020, cet entredeux 2020-2021 qui nous occupe ici aujourd’hui et cette année 2021 qui commence
jamais, mais vraiment jamais on n’a vécu et raconté autant la même histoire, le même livre en quelque sorte : la même maladie
c’est étrange
si je voulais aller très très vite en ce qui me concerne, je dirais que 2020 c’est l’année où en plein premier Covid, nous, je dis nous pour dire ma camarade et moi, nous reprenons, manière de parler, notre asso de tango parce que les précédents s’en vont, comme s’ils avaient déclaré forfait puisque c’était en pleine tourmente Covid
et comme notre histoire à nous deux semblait engagé dans un nouveau livre avec ça, cette histoire de tango, depuis qu’on s’y était mis, six ans bientôt sept, et que ce livre, comme tout livre a l’air
d’être le vrai premier et le vrai dernier
comme il est à peine commencé, ou vraiment pas fini, on s’est senti obligé
et je ne comprends pas bien pourquoi
parce qu’on n’est pas plus doués que ça en tango
et en plus on est féministes, avec nos divergences groupusculaires entre nous deux
et que tango rime quand même très peu avec féminismes
franchement je ne comprends pas mais voilà c’est l’année où Covid et Tango se la racontent ensemble pour nous
il y a bien un jeu de mots foireux qui m’entête là tout de suite
pour dire un peu la bérézina morale dans laquelle je me trouve, et on dirait, toi aussi
puisque je vis à côté de toi et que je vois bien que ça ne va vraiment pas
alors ? le jeu de mots foireux, c’est quoi ?
c’est le tango vide
il est où ton jeu de mot ?
temps Covid
ah
.
en fait je me sens vraiment vidé et si je vous regarde, si je regarde autour de moi, je ne vois que gens, qu’ami.e.s vidé.e.s
alors oui, par temps Covid, tango vide
mais tu crois que l’histoire commune c’est ça ? tu crois que tout le monde veut danser le tango et que tout le monde est triste parce qu’il ne peut plus danser le tango ?
.
y en a pas un peu marre de ton dada, de votre dada de tango ?
on a autrement plus important, autrement plus commun à résoudre ensemble en ce moment, non ?
.
non non
entre 2020 et 2021, il va falloir s’embrasser
tout le monde pensera tango à ce moment-là, même si le mot n’est pas là ! tout le monde !
bah on remettra ça à l’année prochaine, n’en fais pas un plat
non, on ne remet rien de ce qui se passe et dit ici, entre nous
rien
rien
la distanciation creuse, intensifie notre contact, notre danse, voilà tout
.
.
si je réfléchis à ce que le SARS-COV2 me fait
oui ?
si je réfléchis à ce qu’il me fait, par translation, transfert d’une signification à l’autre
sa façon de courir entre nous pour aller en nous, pour vivre sur nous comme si on était son os à ronger
oui ?
son objectif c’est nous
oui, c’est nous
mais n’est-ce pas là notre propre objectif qu’on reconnaît ?
nous, nous et encore nous, chacun, chacune de nous, un par un, une par une ?
oui, jusqu’à présent, ça avait l’air d’être notre objectif
.
en fait, tu veux dire que le SARS-COV2 semble remplir notre objectif à nous, selon toi et qu’en réalité c’est son objectif à lui, et peut-être pas à nous
nous, malgré les apparences, notre objectif ne serait pas de nous manger les uns les autres, de nous rentrer dedans et de nous habiter les uns les autres, ce ne serait pas ça notre objectif
pourquoi tu dis ça ?
t’as l’air de parler d’amour, de nos rêves d’amour toujours
oui oui
je parle d’amour toujours, c’est bien ça
je comprends rien, arrête de faire ton Socrate, on n’a pas besoin de ça
c’est sûr
il faut juste que j’accouche de l’idée, et tu verras si quand tu as accouché, c’était pareil, ou approchant
admettons que l’amour soit un virus
alors quel genre de virus, avec quel objectif, pour se propager, fructifier, s’épanouir, tout ce que tu veux
hypothèse :
l’objectif du virus de l’amour n’est pas de rentrer dans l’individu, de chercher hébergement dans le corps de l’individu
ni dans le corps de l’autre où si longtemps on a cru qu’il aimait être, vivre, prospérer, le virus de l’amour
c’est quoi ce que tu dis ?
où donc alors, son royaume à l’amour, au virus de l’amour ?
.
dans un intérieur plus intérieur que nos intérieurs d’un et d’une
.
et il est où cet intérieur plus intérieur que nos intérieurs ?
.
il est entre nous
quand on danse il est entre nous
et quand on ne danse pas ?
on danse toujours
on danse toujours ?
on danse toujours
.
c’est l’axe entre nous
l’axe ?
le mot axe correspond à ce qu’on cherche, de son propre corps, et du corps de l’autre, quand on veut se connaitre un peu, soi et l’autre, hein ?
oui, c’est vrai
le mot axe c’est quelque chose de très physique
attends, laisse moi me lever, faire quelques pas et expérimenter cette histoire d’axe
ok
.
l’amour est un virus ?
je crois, oui
t’y crois vraiment ?
faisons l’expérience
on se lève ensemble, on s’invite, on danse, qu’est-ce qu’il se passe ?
.
on a pris pas mal de défauts à danser rien qu’ensemble, tous les deux, depuis ce jeûne de tango, n’est-ce pas ?
et on a pris nos défauts pour des preuves d’amour, ou de désamour
mais il suffit de sentir l’intérieur un peu plus loin que l’intérieur de ton corps et un peu plus près que le corps de l’autre pour voir le virus à l’œuvre, chez lui
c’est une manière de parler, moi je ne parlerai pas comme ça
moi j’écouterais par exemple Annie Ernaux parler, à partir de son « Mémoire de fille » par exemple
et je verrais le virus de l’amour à l’œuvre
ah oui ?
oui
.
oui
.
elle se traverse, elle prend le temps de se traverser, elle traverse l’autre, prend le temps de traverser l’autre en se mettant à la place toujours de ce que l’autre a traversé, en elle, et elle se penche, légèrement, sur les métatarses et elle rencontre l’habitacle sacré
l’habitacle sacré ?
je me laisse emporter, avec des expressions pareilles, c’est vrai
là où séjourne et se repait le virus de l’amour, entre nous deux
.
.
c’est difficile mais dit comme ça, ça a l’air tout simple
.
.
il y a un homme qui lit Annie Ernaux
et tout le monde pleure beaucoup
parce que c’est juste beau
et pourquoi c’est beau ?
parce que ce n’est plus violent, parce que ce n’est plus du viol
c’est de la lecture, c’est de la danse
.
.
demain il faudra parler de 2021, de la troisième vague peut-être
et alors ton vœu, ce serait quoi ?
ce serait de ne pas me tromper de virus
.
ah oui ?
2020
2020
on dira juste : « 2020 »
ah ! 2020 !
crois-tu qu’on aura repris notre vie d’avant ?
nos romans d’avant ?
nos religions d’avant ? nos travaux d’avant ?
.
zéro peut-être formé par deux parenthèses : (), 2 X ()
est-ce que nos deux confinements en France ont été deux parenthèses
avec la peur du rien au-dedans
deux fois la peur du néant
deux fois la peur de l’anéantissement de nos bulles, de nos mondes ?
.
les essentiels, eux, ont continué comme avant, les essentiels ? consulte un peu la liste des Autorisés de 2020
où furent autorisés les essentiels
essentiel a été le mot de l’année, la dupe de l’année, essentielles la guerre-éclair des essentiels et la victoire, par exemple, de la 5G et des Grands Distributeurs
.
nous sommes entre 2020 et 2021 et j’ai tellement envie de te prendre dans mes bras, comme avant
.
crois-tu qu’on va reprendre notre vie d’avant, nos vies d’avant ?
crois-tu ça ?
.
crois-tu que tu puisses te tromper d’essentiel, crois-tu que tu es capable de ça, de te tromper sur l’essentiel ? crois-tu que, aussi sincère et intègre que tu sois, ce soit possible ?
autour de toi, tu entends, tu les entends, la rumeur de tes non-essentiels clament leur essentiel à eux, leur innocence, leur essentiel, par exemple moi, en ce moment, si inessentiel
quand tu les vois tu vois bien que c’est essentiel ce qu’ils, ce qu’elles disent, et cependant tu crois et tu persistes et tu signes que l’essentiel c’est de garder les hypermarchés ouverts, sans contrainte, les Mac Do et autres fastfoods, et les anciens lieux de culte, une tolérance pour eux parce que tout ton commerce vient de là et tu crois tout à fait essentiel de multiplier ton commerce par 5G
.
il y a beaucoup de colère, et franchement elle nous fait peur aussi, la colère, parce qu’elle penche à droite, à l’extrême-droite, à gauche, à l’ultra-gauche, les colères nous donnent vraiment le mal de mer
.
tu vois, ce que tu as sous les yeux en ce moment, ici, c’est quelqu’un qui essaie d’aller à l’essentiel, comme on dit, c’est quelqu’un qui parle à l’essentielle première personne
tu te dis, tiens, y a quelqu’un qui veut aller à l’essentiel, mais je crois qu’il se trompe
tu te dis ça
tu es dans ton bon jour, tu supportes de regarder quelqu’un qui essaie d’aller à l’essentiel
tu sais bien que de toute façon c’est toi qui a la main sur l’essentiel
c’est toi qui a le pouvoir, enfin un pouvoir, tu t’imagines que tu as un pouvoir et que tu dois l’exercer
c’est important que tu l’exerces, tu crois ça, que c’est très important, essentiel même que tu l’exerces, ce pouvoir… d’agir sur la pandémie, et d’agir, par exemple, sur ce que tu lis, en ce moment
essentiel de garder et renforcer le pouvoir de faire et penser n’importe quoi
afin que rien ne change dans ton système, dans ta façon de fonctionner
ce que je dis de toi je le dis aussi de moi, même si, en ce qui me concerne, pouvoir recouvre à peine plus que l’espace de mes pieds
.
j’ai tellement envie de te prendre dans mes bras, et d’aller à ce qui bouge à l’intérieur de toi
tellement envie de sentir comment tu bouges à l’intérieur
je ne suis pas en train de dire que nos conflits d’essentiels sont stupides, que nous ne devons pas nous battre, nous sommes si opposé.e.s, essentiels contre essentiels, il nous faut de la lutte, entre nous
bien sûr
mais la sensation, là, tout de suite, entre 2020 et 2021, la sensation la plus vive
la plus urgente des sensations, c’est celle d’un abrazo
que nous sentions, que nous touchions, de notre cœur, de notre thorax, de notre diaphragme
cet axe très sensible autour duquel nos axes, nos vibrations, nos essentiels tournent
.
nos essentiels sont épris de marche, de tours, d’émotion
et
un moment
nous sommes surpris à marcher ensemble
ensemble, avec toi, par exemple, contre qui je me bats
enfin… contre qui ces phrases se battent
.
2020, 2021
.
autrefois nous aurions dit, La situation est révolutionnaire, faisons la Révolution
aujourd’hui, on se dit, la plupart se disent, c’est vraiment dangereux, ce qu’on vit, n’en rajoutons pas
et toutes les révolutions, toutes, vraiment toutes, nous ont tellement fait peur qu’on en a oublié les vraies peurs, et souffrances, d’où elles venaient
et l’arc tendu de la Contre-Révolution continue à se tendre contre nous tous et nous toutes, tu te rappelles, cette image des Abramovic
l’Histoire nous atteint au cœur
au cœur du cœur de notre abrazo voilà ce qu’on sent : un arc tendu par nous deux contre l’un.e de nous, et plutôt l’une puisque femme a été le nom du sacrifice depuis le début de l’histoire
tu vois comme c’est vif, la sensation de guerre entre nous
plus vive encore est la sensation d’abrazo, la fougue d’abrazo
l’horizon d’abrazo en pleine époque de distanciation, et son travail de longue haleine
.
.
j’ai tellement envie de te prendre dans les bras…
non, justement, pas ça, pas cette phrase
pas la figure du viol, de l’amour à une voix, fétide
qui git au fond de la phrase : j’ai envie de te prendre dans les bras
car c’est la figure embryonnaire de violence
qui git au fond de la phrase « j’ai envie de te prendre dans les bras »
pas cette phrase donc, ni celle qui en fait la symétrique
pas cette envie à peine moins fétide d’être pris dans tes bras
ni non plus cette drôle d’envie d’attendre l’occasion, le hasard réciproque
comment expliquer ça, ce radical de la violence, dans le désir solo
et comment chercher la sortie radicale du viol
.
tellement envie que nos bras, nos thorax, nos axes volent, selon leur trajectoire inventée-trouvée, vers l’intérieur, qui n’est pas en nous mais entre nous, à l’infini, où se trouvent mondes, espèces, univers – au pluriel
et, qu’en une respiration, l’abrazo calme tous nos infantiles, nos solos, qui braillent et braillent encore tout au fond
.
2020, 2021 !
La relation seule
Elise Roulin qui, avec Christophe Dumouchel, Ouahli Anquit et Gaëlle Bidault a composé le premier quatuor de Cuatro Tango, vite rejoint par Anne Pain, Christophe et Céline Van der Cruyssen et bien d’autres, propose, comme bien d’autres, dans cette période de tango sinistré, des cours en ligne.
Dont un cours en français, et en solo.
Du quatuor-Cuatro, Elise, pour moi, c’est l’âme qui…
Et si ce mot âme est « trop », disons que d’avoir choisi de vivre de cette passion et de former avec Toni Kastelan un duo de maîtres, elle nous donne le la de notre passion à nous qui s’invente dans leur foulée.
Bref elle donne un cours en français, un cours de « technique » solo.
Femme et homme.
Et…
Comment dire ?
C’est très beau de penser-danser-travailler tango seul avec chevillé au corps l’esprit de dialogue, de connexion des forces complémentaires qui nous composent.
Bref, on conseille très fortement ces cours en ligne pour personnes déjà un peu initiées, comme on dit de « niveau intermédiaire ».
C’est exigeant et « heuristique » : on comprend plein de choses.
Et on sent qu’on se prépare toujours et encore pour un art de la rencontre, de la relation.
Et se préparer ne veut pas dire du tout se reposer sur l’idée que la relation en présence va tout faire – non.
Travailler sincèrement la relation à l’intérieur de soi, et ici, très concrètement, très corporellement, très physiquement, c’est très très vivant – par les temps qui courent, très très morbides, très très distanciés, c’est… ouf !
Ecouter Simon Ripoll-Hurier
pièce radiophonique diffusée en guise de conférence dans le cadre de la série « Reflexio 2020 », le 1er décembre, sur la radio « PiNode » radio liée au master Arts sonores et Sounds Studies, à l’Université Paris 8 et réécoutable ici
effet secondaire bénéfique du reconfinement, de la longue année 2020 mettant à mal les artistes de la relation, de la rencontre – de ces artistes, comme Simon Ripoll-Hurier, dont le carburant est la situation, la rencontre réelle, organisée afin de documenter le sujet de la rencontre, et en ce qui concerne Simon, il s’agit en tout premier lieu de travailler sur le signal, et plus précisément le signal sonore, comme incipit de la rencontre
son travail est une méditation sur l’incipit, sur le signal
son intuition, car c’est un intuitif, a toujours été méthodique, resserrée, « dédramatisée » : confrontée au son mat de la vie réelle
ici on ne propose pas un commentaire de son travail ni de renvoyer à un commentaire avisé sur son travail, mais de se référer d’abord à son travail même, accessible en « version compressée » en quelque sorte dans cette « pièce radiophonique », ou plutôt cette performance qui transforme une invitation de rencontre et de présentation de son travail notamment à un public d’étudiants (on considère cet objet comme une œuvre s’ajoutant à son catalogue d’œuvres)
un artiste n’a jamais à montrer patte blanche, à se contorsionner pour prouver qu’il est artiste, un artiste fonctionne comme artiste, en devenant ce qu’il est, puisque n’importe quel artiste est un devenir artiste qui s’exprime par n’importe quelle occasion, ou, autrement dit, fait feu de tout bois
ce qui est le cas ici
donc, ici encore, écouter sa performance pour éventuellement examiner ce présent message de réception
c’est clairement une archéologie du futur qui est à l’œuvre dans la méthode artistique de Simon (« méthode artistique » à entendre en superposition, en palimpseste peut-être avec « méthode scientifique »)
archéologie du futur veut dire aller chercher d’abord dans le passé proche (le XXè siècle, les lieux et les situations berceaux de la connexion généralisée, de la connectique capitaliste)
mais ce n’est pas une méthode de la méthode, une fascination plus ou moins fermée pour l’aspect méthodologique
il y a bel et bien de l’intuition au travail
non pas une intuition qui déboucherait sur une « idée »
dans le monde de la science, son type d’intuition aurait pour objet une théorie
ici, dans « le monde de l’art », on dira que l’objet de l’intuition est de déboucher sur une pensée, c’est-à-dire, au moins deux idées qui s’enchaînent et font des petits
on peut appréhender, toucher, sentir, examiner deux de ces idées.
un : celle du signal évoqué plus haut
peut-être y a-t-il un engouement pour une telle esthétique du signal tous azimuts, sans hiérarchie, trans-domaines (tous les sujets des pièces de Simon, jusqu’au film sur l’orchestre de Macédoine, où c’est l’ingé son qui est le pivot du film traitent de ce sujet), et cet engouement n’est pas sans rappeler l’engouement futuriste russe pour la remontée dans le langage en tant que signal sonore – une des grandes origines de la linguistique avec pour interface Jakobson)
deux :
la deuxième idée et l’articulation qui fait naître une vraie pensée en formation, selon nous, c’est… comment l’appeler ? à partir de ce qui se formule comme de la perception non sensorielle, propre à cette étonnante et périmée pratique du Remote Viewing, à partir de et pas du tout en conversion néo-mystique pour une philosophie, au fond, de comptoir, mais bel et bien une intuition forte liée à ce qu’on pourrait appeler dans la foulée « la perception non subjective » : une perception qui s’émanciperait d’une conscience de sujet, d’une sensorialité pensée comme sensorialité de sujet – la question de l’imagination étant au centre de cette méditation, de cette intuition.
L’hypothèse en marche est de suspendre ce mot clé, imagination, ce mot chiffre de l’histoire humaine et d’en travailler les qualités et les énergies selon l’hypothèse du contact, du signal
Ce serait une autre théorie de l’imagination qui suspendrait le mot même et toute la subjectivité humaine impliquée par elle et s’intéresserait non pas à l’effet de réel (qui est encore un concept de l’ère de l’imagination), mais au réel de tout effet, ici, schématisé provisoirement comme signal
Sortir de la subjectivité n’est plus du tout un de ces dandysmes fin de siècle mais un vrai programme pour penser autrement
une pensée-signal d’une vie réelle tous azimuts, y compris cybernétique, qui ferait pièce à l’imaginaire toxique – capitaliste-religieux, non pas sur un mode critique mais sur un mode inventif – au-delà de l’imagination et du sujet auquel elle se rapporte indéfiniment selon une structure d’appropriation
pourquoi penser, continuer à penser et à travailler tango par temps de Covid 19 et de distanciation sociale
quand la raison voudrait tout suspendre de cette pratique
contaminante, pourquoi ?
si le tango était une pratique aussi majoritaire que le foot ou les teufs de famille ou d’ami.e.s
il serait formellement interdit depuis belle lurette
si nous ne nous rendons pas à l’équivoque évidence d’une addiction au tango qui, vaille que vaille, nous ferait tantôt baisser la garde pour exprimer-satisfaire notre addiction, tantôt renforcer la précaution et donc l’abstinence
qu’est-ce qui va entretenir la présence du tango dans notre vie-corps-et-esprit
la question se resserre sur notre situation privilégiée depuis laquelle on parle ici : la situation de couple
même confinés, nous restons deux, dans une passion partagée
et, au nom de cette passion
on vit comme on peut dans la vraie vie, à coups d’échecs, de renoncements et de recommencements
on vit, on s’exerce, on travaille, comme on peut
c’est technique et c’est spirituel au sens mental, psy, affectif
le travail technique et le travail spirituel dans notre vie bricolée négocient leur entrelacement
notre travail du corps se chaloupe avec notre travail amoureux, au quotidien et dans notre relation au monde
bref
ça fait une sorte de philosophie en acte
c’est une expérimentation « philosophique » qui a lieu, plus de l’ordre d’un art brut que d’une pratique savante
cette question se pose pour moi au lendemain d’une conversation avec ma partenaire de vie et de danse qui s’est prolongée sur le parking d’une grande surface de bricolage, dans le cadre confiné d’une voiture
nous parlons librement de danse, de sexe, de jalousie, d’histoire intime, de notre histoire intime, et nous essayons peut-être de départager notre passion commune, qui est de nous aimer et d’aimer le tango, de départager cette passion avec notre appétit plus ou moins déguisé pour les passions tristes
passions tristes : toute ces inclinations auxquelles à contre-cœur on cède
l’image tango qui viendrait montrer la passion triste, ce serait une personne qui a, malgré elle, accepté une invitation, une invitation à danser dans le rôle de guidé.e, et qui continuerait sur le même mode, à savoir suivre à contre-cœur, malgré elle, toutes les propositions de la personne guidant
avant de juger une telle personne « contre-cœurée », récalcitrante, il convient bien sûr de se référer à sa propre vie intime, à toute sa vie à contre-cœur en quelque sorte, et parfois cela fait un bloc énorme, parfois tout un continent, parfois toute la Terre même de la personne vivante
et donc lorsqu’on parle « à cœur ouvert » avec l’autre interprétée par une personne bien réelle qui te parle à cœur ouvert elle aussi, quelle que soit l’ignorance dans laquelle l’un et l’autre, l’une et l’autre sont maintenues
ça ne veut pas rien dire, en regard de ce qu’on sait de tout le contre-cœur de nos vies
c’est cette question-là qu’on a envie de poser
ce qui est clair, c’est qu’on est sorti du jeu du chat et de la souris, sortis du jeu de la vérité et du mensonge, sortis de l’interaction-écume qui est le niveau majoritaire sur lequel on se tient tous et toutes, dans nos vies quotidiennes comme dans bien des sociologies (les objectivismes ne peuvent pas sortir du dilemme sujet/objet, la plupart du temps, ils accroissent la dette subjective envers la dépense objectiviste)
évidemment ce qui nous intéresse vraiment c’est d’observer ce qui se passe vraiment, c’est-à-dire les formes de ce qui se passe, quand on parle et qu’on vit à cœur ouvert
« à cœur ouvert » : c’est autant une biomécanique qu’une philosophie
c’est un phénomène relationnel, c’est une révolution relationnelle (le tango et l’amour mène vers ça, mais bien sûr, c’est juste une potentialité, on ne peut pas dire que le tango et l’amour mènent automatiquement, par essence, à la révolution relationnelle, non, ça veut dire qu’on choisit de développer cette potentialité d’une révolution relationnelle à partir de ce « à cœur ouvert » qui peut avoir lieu dans l’amour et dans le tango
cette page, au fond, c’est juste un pense-bête, pour se dire : n’oublions pas que notre, que cette conversation sur le parking, rapportée au patient exercice chorégraphique de toute notre vie à deux, si démultipliée qu’elle soit, ou si simplifiée et réduite à une extraordinaire et penaude vie solaire-solitaire
n’oublions pas que cette vie à deux, à deux cœurs ouverts, se révèle être la brique constitutive du vivant, qu’on jouerait nous, humains en tant que vivants, ou nous, vivants en tant qu’humains
d’une façon singulière, particulière, historique
je ne sais pas si cette page développe vraiment la question de départ, à savoir pourquoi continuer à penser-vivre tango par temps inadéquat
mais je sais que nous avons parlé à cœur ouvert
je sais que nous essayons de danser à corps ouvert
et je sens bien aussi que notre monde, que notre société, loin d’être une coque extérieure navrante, source de notre mélancolie et de notre désespoir, contient et entretient, ne serait-ce que secrètement, ce goût pour l’expérimentation relationnelle d’un genre aussi inédit qu’immémorial
et il y a une sensation d’urgence à développer ce goût
par les temps qui courent
qui courent et amorcent un tournant inédit de la vie terrienne
samedi 17 octobre 2020
« et il y a une sensation d’urgence à développer ce goût
par les temps qui courent
qui courent et amorcent un tournant inédit de la vie terrienne »
Je pense que tu as raison et que ce ton prophétique n’est pas emprunté : il est juste ! Mais j’ai forcément envie de te demander : comment vois-tu ce tournant que nous sommes en train de prendre et quelle part le tango pourrait y avoir ?
Abrazo Philippe, Emile
la question que tu me poses, j’ai l’impression que chaque jour elle m’est posée
mais comme pour moi le tango est une découverte tardive
et qu’elle me fait travailler un corps que je n’ai jamais exercé, en danse, en art martial, en yoga (le yoga m’est aussi une découverte récente)
je ne peux prétendre répondre en connaisseur, au point de me demander ce que peut le tango dans notre monde en mutation
mais si je me pose conséquemment ce problème « du connaisseur », l’idée de notre monde en mutation, cette idée je l’ai parce que je m’appuie sur des connaissances portées par de multiples connaisseurs, non sur les miennes, qui sont très limitées
personnellement je trouve que j’ai plutôt raté ma carrière d’honnête homme, au sens que le XVIIe siècle lui prêtait, d’une connaissance générale et d’un art général pour vivre dans un monde d’hommes
– et ma modestie est, encore et péniblement, une modestie d’homme, une modestie masculine
depuis, et l’époque des féminismes y est pour quelque chose, une modestie plus puissante, plus active dans ma vie à tous les étages de la relation à l’autre vivant
et à l’autre non vivant
est à l’œuvre
notre monde est en mutation ? ce n’est pas une prophétie, c’est un constat, c’est une perception aidée – de quelques lunettes de philosophes, d’anthropologues, de quelques sciences vives
et ce n’est pas du haut d’une existence maîtrisée en savoirs vérifiés
mais du bas d’une existence simplement expérimentée, vécue, sentie
c’est très affectif
que fait sur moi, sur nous proches, le monde en mutation ?
la période de couvre-feu qui entre en vigueur aujourd’hui à Rouen comme dans d’autres grandes villes françaises donne une forme spectaculaire, fournit un symptôme spectaculaire d’une mutation de fond bien autrement réelle
la mutation m’affecte puissamment
même s’il est vrai que j’ai quelque difficulté à distinguer symptôme et maladie systémique, ce qui m’affecte dépasse le symptôme du coronavirus
et que fait sur moi, sur nous proches, le tango ?
et lorsque par moi et par nous proches, j’entends, je perçois d’évidence que c’est de forces actives que je parle, et non victimaire, où nous serions victimes consentantes ou révoltées d’un phénomène dont nous serions les patients
je découvre une autre dynamique actif-passif par le tango et je la découvre à l’œuvre, cette dynamique, dans mon monde, dans notre monde en mutation
mes, nos briques d’existence sont en train de changer
dans ce monde en mutation, s’il nous vient la pensée, la passion du tango, c’est sans doute aussi la pensée et la passion d’un tango en mutation
cette sensation ne vient pas du haut de ma pratique, un poil plus expérimentée qu’au tout début, ni du bas – quand je danse très mal, je n’apprends rien de neuf sur l’existence –, mais du cœur, du milieu vivant, disons cœur, et le mot va aussi bien pour le tango que pour le monde en mutation
c’est par le cœur que ça change
il y a une si forte vague de soumission, et bientôt peut-être de révolte
les peuples se trouvent si ballotés dans des gouvernances à vue
des gouvernances fascinées et apeurées par la crédulité et/ou l’incrédulité qui les constituent
je ne sais pas, je me dis que la flamme olympique du tango, maintenue par quelques-uns
c’est ce qui va reconstituer l’humain et la chaîne du vivant faisant monde (le mot environnement n’étant plus du tout adéquat)
se reprendre dans les bras voudra dire, voudra chanter, très fort, quoi ?
je pense que le tango est un art de l’amour, si par cette formule, ce sésame, on fait effort sur le mot art, quand l’inclination ou le besoin d’effort semble se porter sur le mot amour
qu’on se réjouisse d’un mot encore et toujours actif
ou qu’on constate, selon tous les degrés de la déception et de la lucidité, que décidément, il n’y a jamais d’amour qui tienne
hier reprise de la « Pratique d’Elise », chez Cuatro Tango
à dix
pour environ la moitié d’entre nous, c’était une première fois depuis des mois
six mois depuis le confinement
six mois sans pratique d’Elise, sans danser du tout
les autres, qui ont eu la chance de continuer quand même, dans le privé de leur couple ou de leur réseau d’ami.e.s dansant
ont été contaminé.e.s par la concentration inhabituelle de cette « reprise »
car c’était extraordinairement concentré
bien sûr il faisait chaud sous les masques, bien sûr nous pensions à nous laver les mains avant chaque partenaire nouveau, nouvelle
l’une d’entre nous faisait DJ, découvertes avec elle, égrenées dans un ensemble énergique, presque romantique
c’est de l’intérieur que je témoigne : je n’ai pas beaucoup observé au sens d’être dehors et de considérer ce qui se passe autour, ça, ce sera pour plus tard
de l’intérieur, c’était beau
ça nous faisait un bien fou de partager l’expérience de l’abrazo, le mouvement si exigeant de l’abrazo
plus tard, au café, quelqu’un parle des vertus immunitaires de l’abrazo
en fait il s’agissait sans doute des vertus immunitaires du baiser, du baiser dit « impliqué », avec la langue, et de l’échange intensif de bactéries qu’il produit, il devait s’agir d’un colloque en 2016 sur le baiser, mais l’idée d’accorder à l’abrazo une semblable vertu immunitaire est stimulante
scandaleux de donner ce genre d’infos en pleine pandémie ?
aujourd’hui le tango a une longueur d’avance, la proxémie du tango a une longueur d’avance et donne des billes pour la post-pandémie
cette pratique à dix personnes a eu lieu après la déclaration du préfet, la veille, déconseillant fortement tout rassemblement privé de plus de dix personnes
le tango n’est pas une fête familiale, ni une danse de défoulement convivial
le tango est une étude à ciel ouvert de ce que veut dire le mot et l’expérience de « relation »
au sein même des gestes barrières et du soin scrupuleux porté à l’autre, aux autres
l’idée de « levier », développée ce matin par Baptiste Morizot sur France Culture (une amie envoie un texto pour faire part de sa présence à l’antenne), parle de l’initiative militante d’acheter des parcelles de forêt du Vercors afin de laisser évoluer la forêt sur son temps plus long qu’humain
l’idée de levier : pour soulever le monde, pour retrouver une plasticité de transformation dans un contexte d’impuissance éco-politique, cette idée est parlante pour qui danse le deux
beaucoup de relations à la forêt consistent à ne pas l’exploiter, rappelle le philosophe quand le journaliste évoque une réfutation de l’initiative qui serait une « mise sous cloche » patrimoniale d’une parcelle de nature
la relation à l’autre, entendons toutes les relations expérimentées sous l’angle relationnel, n’est pas qu’une relation d’exploitation
dans la relation entre un homme et une femme ou d’homme à homme ou de femme à femme sous l’angle d’une relation à l’autre non même (un homme qui danse avec un homme ne danse pas avec la communauté masculine, il danse avec un autre vraiment autre, une femme avec une femme, idem)
l’image de l’exploitation, d’une domination à des fins d’exploitation
ou d’exploitation à des fins de domination devient une vieille illustration monomaniaque de notre histoire, complètement périmée, enfin… sur la voie de la péremption
la culture du viol, du mariage, de l’asservissement domestique devient une bizarrerie ethnologique que l’ethno-philosophie peut comprendre à nouveau frais, a postériori
on voit tout de suite le lien entre relation des hommes aux femmes ou aux autres vraiment autres et la relation par exemple à la forêt
l’intuition d’une force de continuité entre relation au vivant qui fait air et subsistance, au vivant non humain, lui-même en relation intrinsèque au non-vivant, et notamment à la physique du mouvement
cette intuition stimule nos papilles, notre appétit à aimer et à connaître
appétit qui n’a rien de la dévoration de l’autre – bien sûr, on dévore de l’autre et la sexualité nous apprend à nous entre-dévorer avec sagacité
mais cette dévoration est juste un cas de figure, un moment devenu jeu dans la relation générale et continue des vivants entre eux et entre l’univers au pluriel
le tango a une longueur d’avance sur l’époque de la distanciation mondiale, disions-nous ?
pratiquée avec soin, avec l’idée constante de soin, sans se laisser réduire au défoulement que serait le fait de laisser enfin place à la joie addictive qu’est le tango, sans jamais se laisser réduire à seulement ça
– parce que s’il y a de la pulsion dans le tango, cette pulsion est constamment pulsée, au sens musical et chorégraphique, et ça change tout
pratiquée avec soin, la mathématique de la musique et du mouvement et du cœur vient chauffer le lien quotidien entre « embrasement fusionnel » et « vide éternel »
et ça, cette pratique, hier notre « pratique d’Elise », nous le chuchotait tranquillement